
Elle voudrait l’ailleurs encore, Diane Régimbald
Être Femme
Si on veut — plus exactement, si on à besoin — de savoir qu’est-ce qu’est une femme au XXIe siècle, si on veut le savoir en vérité, en profondeur, si on veut le savoir vraiment, je crois qu’il n’y ait pas — plus encore, qu’il ne peut pas y avoir — une façon meilleure, plus riche, plus enrichissante, de la faire que lire Elle voudrait l’ailleurs encore, le dernier livre de poèmes de Diane Régimbald, publié par Éditions du Noroît ce février.
Bien sûr, en lisant cette déclaration, aussi catégorique il est (bien) possible qu’on croie que j’exagère, que c’est une déclaration (très) hyperbolique, qu’on ne peut pas, ni aujourd’hui ni jamais, savoir qu’est-ce qu’est une femme — ni un homme. Que l’être humain, soit-il homme, soit-elle femme, est inconnaissable. Qu’est inconnaissable par définition. Que ce que n’ont pas pu établir où faire claire les plus intelligents philosophes pendant plus de 4 000 ans, il ne peut pas s’établir où faire claire aujourd’hui. Et, encore moins, à travers la poésie.
Poésie interrogative
C’est vrai. Ne peut être plus vrai : ma déclaration initiale est un peu hyperbolique : on ne peut pas connaître, vraiment, qu’est ce qu’est une femme. Ni au XXIe siècle ni en aucun d’autre. C’est vrai, mais…
Mais si on veut le savoir, aussi possible qu’il soit, de la sorte plus proche possible, je ne doute pas qu’il faudra que le lecteur ou la lectrice se tourne vers celle que — selon mon modeste point de vue — est une des sources la plus puissantes de la connaissance humaine : à la poésie interrogative.
À cette poésie qui écrivent, qui pratiquent — en fait, qui vivent, et, en la vivant, intérieurement, bien au-dedans, la transforment en écriture, en poésie — si bien autant d’autrices québécoises : Louise Dupré, Denise Desautels, Martine Audet, Nicole Brossard, entre autres.
Cette poésie qui non dit sinon qu’interroge. Pour (essayer de) l’exprimer avec plus de précision, qui non dit, en première instance, sinon qu’elle à sa souche en une interrogation, des doutes, des incertitudes, d’un besoin de savoir, et qui convertit cette (auto) interrogation en son dire poétique.
Être femme
À Diane Régimbald, en cette occasion, la question qui l’inquiète, qui la dérange, qui le provoque des soucis et qu’elle essaie donc d’enquêter, en s’interrogeant est : « Qu’est-ce qu’être une femme ? » Un « qu’est-ce que c’est ? » qui, bien sûr, entraîne nécessairement d’autres questions : « Que veut dire être une femme ? », « Qu’est-ce que cela signifie être une femme ? », « Quelles implications cela implique-t-il d’être une femme ? » En bref : « Quelle est (notre) condition de femme ? ». La condition des femmes dans ce XXIe siècle si fragile, si changeant, si instable.
J’indique expressément « notre » statut de femme car, comme toutes ses compagnes poétiques que j’ai citées, l’auteure montréalaise n’écrit pas et ne se remet pas en question pour elle-même — pour le dire plus précisément, elle ne le fait uniquement pour elle-même, pour elle seule — mais pour toutes les femmes. Pour et au nom de toutes. Pour et au nom de toutes les femmes qui n’ont pas la possibilité (le temps ou l’occasion) de le faire par elles-mêmes.
C’est pour cette raison, pour cette volonté générale, participative, inclusive, que le livre contient les illustrations de Sophie Lanctôt. Plutôt que les « illustrations », ce sont en réalité des œuvres, étant donné que leur fonction n’est pas d’illustrer, mais de contribuer, graphiquement, plastiquement, à l’interrogation artistique du livre ; ou ce qui est pareil, pour y apporter sa voix, son regard.
Fille / Mère
Dans ce questionnement, ce n’est pas un hasard — dans un travail artistique, il y a très peu de place pour la coïncidence ; au contraire il y a beaucoup plus pour la causalité — qu’elle dédie l’œuvre “aux filles, aux mères/ à Denise Leduc, ma mère”.
Comme ce n’est pas un hasard si les deux premiers poèmes du livre s’intitulent « une fille » et « une mère ». Comme ce n’est pas non plus aussi une coïncidence si « une » est écrite en petites lettres : parce qu’il ne s’agit pas, il ne peut pas s’agir d’Une fille ou d’Une mère en particulier, mais d’une fille ou d’une mère ; il s’agit de n’importe quelle fille ou quelle mère ; en d’autres termes, de toutes les filles et de toutes les mères.
C’est la même raison qui justifie qu’elle écrive ces deux mots (une fille », « une mère ») — ces deux mots qui définissent une situation, une condition ; plus encore, un être — dans une multitude de langues : pour qu’il soit clair, très clair, qu’elle ne parle pas pour elle, ni pour les femmes du Québec, de l’Amérique du Nord, de l’Europe ou de ce que nous appelons l’Occident, mais pour toutes les femmes et les filles possibles, quelle que soit la langue qu’elles parlent et où qu’elles vivent. Parce qu’elles partagent toutes la même situation, la même condition, le même être. Plus précisément, une même situation, une même condition, un même être.
Situation, état ou être qui démarre par un doute, une ignorance, une interrogation : « je commence sans/ savoir cela/ exister/ […]// je commence sans/ pouvoir naître/ demain la route ».
Car la “route” il n’est pas uniquement long, très long, sinon qu’elles commencent tout juste à le faire, car le chemin qui les attend n’est pas tracé, mais elles doivent le tracer elles-mêmes.
Elles doivent le tracer elles-mêmes pour se comprendre, pour pouvoir savoir ce qui existe, pour pouvoir « naître », pour pouvoir être (véritablement) ce qu’elles sont.
Femmes du XXIe siècle
Elles doivent tracer leur propre chemin — et donc leur(s) propre(s) lieux(s) — parce qu’elles ne sont plus les femmes qu’elles ont toujours été, parce que les chemins précédents — et le(s) lieu(x) — que toutes les femmes avant elles avaient empruntés ont cessé de les desservir, ne leur sont plus d’aucune utilité.
Car elles sont leurs filles, ses héritières, mais aussi des femmes nouvelles. Car elles sont avant tout les femmes qui doivent ouvrir chemins, qui doivent commencer à tracer les routes neuves — et les nouveaux lieux ; les ailleurs — que non seulement elles, mais plus encore leurs filles et belles-filles devront occuper. Ces routes neuves et ce(s) nouveau(x) lieu(x) qu’elles ne devront plus jamais abandonner.
Ces routes neuves et ce(s) nouveau(x) lieu(x) où elles seront, comme toujours, des femmes, mais surtout des personnes. Ces personnes que, qui, jusqu’à une date récente, les hommes (dans leur majorité) ne leur ont pas permis d’être.
C’est pour cette raison, parce qu’elles ont besoin d’établir de nouvelles fondations, solides et durables, libérées et libératrices, que : « mes pas traversent/ les étangs », que « j’apprends à devenir/ un fruit dur », que « je sors de mon bagage/ les origines des liens/ qui me gardent/ vive ».
Qui les gardent vives mais qui, ce qui est bien plus important, les feront vivre autrement, les feront vivre vraiment, qui convertiront enfin — et une fois pour toutes : cette neuve route qu’elles suivent maintenant avec tant de peine, de patience et de difficulté n’a pas (n’admet pas) aucun retour — leur vie en une vie véritable ; en une vie propre ; en une vie à soi, pleine, digne d’être vécue.
Car les femmes du XXIe siècle n’ont plus seulement besoin de « A Room of One’s Own », comme le prétendait Virginia Woolf, mais d’une vie (à soi) pour la vivre.
Il m’a fallu
Mais pour arriver ici, pour pouvoir savoir où doit la mener son questionnement poétique, pour pouvoir savoir ce qu’elle partage avec le reste des femmes du monde, pour pouvoir savoir quelle est sa condition de femme, pour pouvoir savoir ce qu’elle ne savait pas et ne pouvait pas savoir (je ne savais rien d’elle/ outre les naissances/ données »), pour pouvoir savoir non seulement tout ce qu’elle doit à sa mère mais, ce qui est encore plus important, tout ce qu’il a de commun avec elle — et, par extension, avec toutes les femmes/filles/mères — « il m’a fallu être mère/ à mon tour ».
Car ce n’est qu’en étant mère, seulement en traversant ce moment crucial et déterminant, qu’elle a pu : « connaître le vide du sang/ la crainte ». Qu’elle a pu connaître le deuil qui scientifique « faire disparaître ».
Car ainsi, et uniquement ainsi, « j’ai nourri la genèse/ l’ai aussi avortée deux fois ». Car uniquement ainsi elle a pu se rendre compte que « connaître la douleur/ de faire mourir/ c’était juste résistance/ carré de lumière/ dans l’ombre ».
Car ce n’est qu’ainsi qu’elle a pu prendre conscience, et le faire dans sa propre peau, dans sa propre chair, qui est la seule façon de le faire vraiment, celle où elle ressent une implication non plus directe, immédiate, mais corporelle, comme si on lui enlevait une partie de soi, qu’être femme est une lutte des contraires, une contradiction en elle-même, où la douleur et la joie sont indissolublement mêlées, où la lumière et l’obscurité se rencontrent en permanence.
Nos mots s’échappent
Une réalité, celle du mélange constant de souffrance et de joie, particulièrement ou intrinsèquement féminine, qui fait partie, comme une seconde peau ou un second corps, de la condition de femme.
Une condition (ou un être) de femme qui ne peut être comprise que si elle est abordée ou observée de manière générale, non seulement dans la perspective d’une femme, mais de toutes les femmes ; dans la perspective du concept de femme ou de féminité, parce que « l’histoire de nos sexes » est « une ardeur complice » ; parce qu’être une femme est tout sauf simple. Et que, par conséquent, « nos mots/ ne s’entassent pas/ s’échappent ».
Ils s’échappent et, pour cette raison même, il faut les chercher et les rechercher. Les chercher et les rechercher avec conviction, aussi ardu soit-elle la recherche, peu importe combien la recherche — le questionnement artistique et poétique — elle devienne, ne peut que devenir, une route longue, escarpé, presque infinie : « comment dire/ ce qui se retient/ résiste à l’effacement/ que faire/ de ce qui ne pâlit pas ».
Une route qui uniquement peut essayer de parcourir un livre de poèmes non seulement exigeant mais aussi vaste, car il y a tant de choses à considérer, car il y a tant de questions en suspens, toutes urgentes, toutes importantes, toutes impératives, qu’il est nécessaire de les parcourir (et les exposer) une à une. Ou, plus précisément, les unes après les autres.
Elle c’est moi
Les parcourir et les exposer les unes après les autres pour arriver à toute une série de considérations que, bien entendu, je n’avancerai pas. Que chaque lecteur où lectrice devra trouver par lui-même/ elle-même.
Je préfère qui soient les lectrices et les lecteurs qui puissent faire leur découverte, au fur et à mesure qui progressent dans les chapitres (VARIATIONS, PASSAGES RÉELS, PASSAGES MYTHIQUES, DU CORPS des cicatrices inachevées) et subchapitres (Une fille it doesn’t matter, Fille des ailleurs, Figure de mère, De mère encore, Carnet de l’ombre, Nudité de l’absence, Gestes, On dirait caresse, Comme lieu(x)).
Qu’ils aillent de l’avant pour trouver leur propre route et leur(s) propre(s) lieux(s). Leur « ailleurs ».
Des routes et des lieux qui permettront aux femmes, mais aussi aux hommes — aux femmes, parce qu’elles s’y reconnaîtront ; aux hommes, parce qu’ils découvriront les traces que leurs mères leur ont laissées dans son intérieur —, d’aller du « je commence sans/savoir » jusqu’à « la mère deviendra/ma sœur » ; ou ce qui revient au même, à une connaissance plus profonde et plus riche de la condition (de l’être) de la femme.
Une connaissance de la condition de la femme du XXIe siècle, surtout, mais aussi de toutes les femmes de tous les temps. De toutes les femmes qui, parce qu’elles sont (non seulement consécutivement, mais en même temps) mères, épouses et filles, sont (elles deviennent ; elles ne peuvent sinon devenir) la racine et la raison de tout « ce qui nous lie ».
dijous, 29 de febrer del mmxxiv
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