
Exercices de joie (II), Louise Dupré
Nous lever
Quand nous ouvrons Exercices de joie, de Louise Dupré, peut-être nous demandons-nous comment l’aborder, comment le comprendre. Ou comment est né ce livre de poèmes.
Si nous nous le demandons, nous aurons la réponse — au fait, les réponses — dans la première suite poétique du recueil. Une réponse, des réponses qui, en fait, sont des questions. Sont, en réalité, les questions qui ont fait naître le livre de poèmes.
Pour le dire encore avec plus de précision, quelles sont les questions qui ont fait naître en Louise Dupré le besoin d’écrire ce livre de poèmes : « Comment accueillir le jour naissant, avoir confiance en ses largesses, comment faire face au naufrage du monde ? » ?
Autrement dit, comment est-il possible de vivre dans ce monde rempli d’angoisse et de détresse, ce monde où tout est noir, où la lumière a disparu — « tu as vu le noir décourager la lumière » — ainsi que tous les rêves et souhaits — « tu as vu tes rêves s’écrouler comme des châteaux de cartes » —, ce monde où tout ou presque est naufrage : « Tu aperçois le ciel en flammes, les nuages calcinés, et des essaims d’oiseaux s’écrasant au sol ».
Possibles réponses
Les possibles réponses, on les trouve, pour le dire avec plus d’exactitude, on peut essayer de les trouver uniquement en écrivant, en se plongeant en nous, dans notre âme. Et pour ce faire, nous devons d’abord refuser de rester assis, nous devons trouver le désir (et l’énergie) nécessaire pour nous lever et faire le premier pas. Indispensable pas : « Tu t’es simplement levée et tu as avancé, comme s’il suffisait de mettre un pied devant l’autre pour éloigner la détresse ».
En sachant, en sachant très bien, que ça ne suffit pas, que ce pas en avant est uniquement un premier geste, absolument nécessaire mais tout juste le premier geste ; en sachant qu’il faut y croire, qu’il faut avoir la conviction que ce geste servira, qu’il faut faire l’effort d’y croire : « tu en fais l’effort comme on se donne un devoir de conscience ».
En sachant qu’il faut y croire non pour s’envoler mais tout juste pour se lever, pour faire un pas en avant, un pas que d’autres suivront, en sachant qu’il faut « [s]’accroche[r] à la joie », si petite soit-elle, même « mince », même « trouée », même si cette joie n’est qu’un acte de volonté, une nécessité, un désir. Même si « on découvre parfois des pierres de lune là où l’on ne voyait que des galets, des arcs-en-ciel au fond d’une insomnie ».
Una bataille
Même quand on sait que cette joie nous échappera, qu’elle est une bataille presque impossible, une bataille qu’il faudrait livrer, livrer de nouveau chaque matin, avec insistance, avec conviction, sans se laisser (jamais) décourager ou désarçonner. Parce que cette joie serait la plupart du temps « une route qui ne mène[ra] nulle part ». Parce que, la plupart du temps, cette joie, plus exactement cet espoir de joie, ne serait que « pure lubie de femme qui refuse de regarder la réalité en face ».
Même quand tu sais que, la plupart du temps, « Tu passe[ra]s sans cesse de la joie à la peine ». Quand tu sais, et très bien, que ce sera une longue, très longue bataille. Une bataille qui ne t’offre, qui ne peut t’offrir, aucune sûreté, aucune garantie de victoire. Quand tu sais que ce « combat […] souvent […] te tue[ra] » et donc qu’« il te fau[dra] ressusciter ».
Quand tu sais qu’il te faudra ressusciter non pas une fois, mais une fois après l’autre, mille fois. Que c’est une tâche herculéenne. Ou, plus exactement, quand tu sais que, comme Sisyphe, il te faudra commencer et recommencer une fois après l’autre, chaque matin.
Que chaque matin, chaque fois, « tous les jours », il te faudra de « courage ». Que chaque matin, il te faudra beaucoup de courage. Qu’il te faudra « chaque fois prendre ton cadavre par les épaules, le mettre debout et le réprimander ».
Nous sommes seuls
Et cela, d’autant plus que, aujourd’hui, l’Olympe a disparu. En fait, que tous les olympes (et tous les dieux) ont disparu. Que nous sommes seuls. Que nous sommes seuls pour toujours. En ces temps où « tu vis », ces temps où « le ciel est […] fermé comme un cloître ». Ces temps où « tu entends exploser les étoiles sous ton crâne ». Ces temps où on a « la cervelle brûlée », où « on pense froid » et « on parle froid ».
Et pour ce faire, pour (essayer de) trouver des réponses, pour (essayer de) vivre dans ce monde de « suie, [de] cendres, [de] paysages de chagrin et de pitié », pour « survi[vre] à la douleur », pour (essayer de) rendre justice à « tant de choses minuscules à sauver, [à] tant d’angles morts à nommer avant de les rendre à leur oubli », il faut que « tu redevien[ne]s une jeune fille aux mains lisses ».
Exercices
Une jeune fille qui écrit : « tel le poète tu écris ». Une jeune fille qui, comme Thérèse d’Avila l’a fait il y a cinq cents ans, avec ses exercices spirituels, doit écrire ses Exercices de joie. Les écrire et, par-dessus tout, en faire ses « exercice[s] du jour » ; en faire ses exercices de chaque jour : « on n’a qu’à aller et à revenir sur ses pas, puis on repart ».
Et, pour que ces exercices de joie soient possibles, « il faudrait inventer un mot pour l’euphorie qui émerge soudain de la douleur », non pas n’importe quel mot mais « un mot avec des ailes », « un mot léger, exubérant, parfumé, couleur de fruits et de sèves, si sonore qu’on sentirait à nouveau la vie bouillonner sur les lèvres », « un mot d’adolescent qui ne se doute pas qu’il deviendra vieux ».
Un mot, cet unique mot qui nous permet — ces mots, ces uniques mots qui nous permettent — d’« apprendre à résoudre l’énigme des insectes ».
dimarts, 4 d’abril del mmxxiii
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